
Dans un texte, « Les enfants de Simone de Beauvoir », paru dans Désirs et réalités, NANCY HUSTON raconte :
« Moi non plus, je ne voulais pas d’enfants ; c’est un choix qui fut mien et que j’ai défendu avec tant de fougue que je le respecterai toujours. La liberté plus grande du célibataire et surtout de la célibataire, en comparaison des gens mariés, est incontestable. Le temps dont elle dispose - pour travailler, voyager et s’instruire - est objectivement, quantitativement, plus grand que celui d’une mère.
Mais je me suis aperçue que malgré tout, le temps avait tendance à passer, et que je n’aimais pas sa manière de le faire. J’avais beau le mesurer, le distribuer, et m’efforcer d’en profiter au maximum, je ne réussissais pas à le mater, à l’immobiliser ; il me glissait quand même entre les doigts.
Et si, après dix années de vie de femme adulte-indépendante-célibataire-activiste, j’ai désiré partager ma vie avec un enfant (et aussi avec un homme, mais cela, c’est une autre histoire), ce fut, entre autres raisons, pour changer ce rapport-là au temps.
Pour me forcer à accepter une certaine “perte” du temps. Pour apprendre la paresse, les répétitions et les temps morts. Parce qu’un enfant, peut-être plus qu’aucune expérience de la vie humaine, vous confronte et à la nécessité et à la contingence. Quand vous lui mouchez le nez, ce n’est pas parce que c’est la chose qui vous tient le plus à cœur à ce moment-là, c’est parce que c’est cela qu’il faut faire. (...) Du coup, la vie ne peut plus coïncider avec l’œuvre : ça déborde de partout, et ça vous déborde.
Effectivement, vous n’avez pas le choix : ce ne sont pas des “rapports choisis avec des êtres choisis” [ce que Simone de Beauvoir prisait exclusivement]. L’enfant est là, celui-là et pas un autre, et il faut que vous subveniez à ses besoins. C’est nécessaire.
Mais le plaisir qu’il vous apporte est, lui, parfaitement gratuit. Il n’est pas le résultat d’un “bon choix” : bon choix de vin ou de promenade ou de livre ou d’ami.
Il vous tombe dessus sans que vous le méritiez.
Un sourire, un câlin, une confidence chuchotée - ces choses-là sont non seulement “gratuites”, elles sont inestimables. »
Du temps concret.
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