Dans la section Opinion en date du 11 septembre dernier du Devoir :
Lettre à Stephen Harper - La rive miroir
Wajdi Mouawad, Fonctionnaire pour l’État canadien
Monsieur le premier ministre. Nous sommes voisins. Nous travaillons chacun d’un côté de la rue. Vous êtes premier ministre au Parlement canadien, et moi, juste en face, auteur, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre français du Centre national des arts (CNA). Je suis donc, tout comme vous, un fonctionnaire de l’État travaillant pour le gouvernement fédéral, un collègue en somme.
Je profiterai alors de cette position privilégiée pour, m’entretenant avec vous de fonctionnaire à fonctionnaire, évoquer l’annulation des programmes de subventions fédérales dans le domaine de la culture, et à laquelle votre gouvernement vient de procéder. En effet, suivant de près cette affaire, j’en suis arrivé à quelques conclusions que je me permets de vous communiquer publiquement, ce débat devenant lui-même, vous en conviendrez, d’intérêt public.
La symbolique
Premièrement, il apparaît nécessaire que vous vous entouriez de quelques conseillers qui sauront être attentifs à l’aspect symbolique des gestes de votre gouvernement. Vous le savez sans doute, mais il est bon de le rappeler, chaque geste public raconte non seulement ce qu’il est, mais aussi ce qu’il symbolise.
Par exemple: un premier ministre qui ne se déplace pas pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques en Chine, arguant d’un horaire trop chargé, n’empêche nullement le fait que, sur le plan symbolique, son absence puisse signifier aussi autre chose. Elle peut signifier qu’il désire poser le Canada comme un État appuyant les revendications du Tibet. Ou encore elle s’apparente à un signe de protestation contre la manière avec laquelle les droits de l’homme sont considérés par Pékin. Si ce premier ministre s’obstine à n’évoquer qu’un calendrier chargé pour expliquer son absence, qu’il le veuille ou non, celle-ci aura une portée symbolique qui engage tout le pays. Le sens symbolique d’un geste public primera toujours sa raison technique.
Déclaration de guerre
La semaine dernière, votre gouvernement a réitéré cette manière unidimensionnelle de gouverner, cette fois-ci sur le plan intérieur, en effectuant des compressions dans des programmes de subventions destinées au milieu culturel. Un geste budgétaire, insistez-vous, mais qui provoque une onde de choc ressentie par le milieu artistique — à tort ou à raison, cela reste à voir — comme une expression de votre mépris à son égard. La confusion avec laquelle vos ministres ont tenté de justifier ces compressions et leur refus de rendre publics les rapports des programmes annulés n’ont fait que confirmer la portée symbolique de ce mépris. Vous venez de déclarer la guerre aux artistes.
Or, et c’est la seconde chose que je voulais, de fonctionnaire à fonctionnaire, vous dire: aucun gouvernement, en méprisant les artistes, n’a été en mesure de se relever. Aucun. Les ignorer, les soudoyer, les récupérer, les acheter, les censurer, les tuer, les envoyer dans des camps, les emprisonner, les surveiller, les détester, oui, mais les mépriser, non. Cela équivaut à briser un pacte étrange, scellé depuis longtemps, entre art et politique.
Le mépris
Art et politique s’haïssent et s’envient, s’attirent et se détestent depuis toujours, et c’est dans cette dynamique que bien des idées politiques naissent, dans cette dynamique que, parfois, des chefs-d’oeuvre voient le jour. Or, votre politique culturelle ne provoque qu’une profonde consternation. Ni haine, ni détestation, ni envie, ni attirance: rien qu’un abasourdissement devant le vide accablant qui anime cette politique.
Ce vide entre vous et les artistes, d’un point de vue symbolique, signifie que votre gouvernement, le temps qu’il durera, ne verra naître ni idée politique, ni chefs-d’oeuvre, tant vous ne semblez pas croire à la valeur de ce que vous méprisez. Le mépris est un sentiment souterrain, mélange de jalousie et de peur non assumées envers ce que l’on méprise. De tels gouvernements ont existé, mais ils n’ont pas tenu, car un gouvernement, même le plus détestable, ne peut durer qu’en ayant le courage d’affirmer ce qu’il est.
Pourquoi, au juste?
Quelles sont les raisons de ces compressions en tout point semblables à celles que vous avez opérées l’an dernier auprès de la plupart des ambassades canadiennes qui ont vu leur programme culturel diminué pour ne pas dire annulé? Vous réalisez une économie budgétaire qui équivaut à un pourcentage ridicule par sa petitesse, et les votes que ces choix pourraient vous apporter vous sont déjà acquis. Pour quelle raison alors vous acharnez-vous à attrister l’artiste le privant de quelques-uns de ces outils? Que cherchez-vous à é(at)teindre?
Votre silence et vos gestes font craindre le pire, car, finalement, on se surprend à croire que ce mépris, exprimé à travers ces compressions, soit réel et que vous n’avez que dégoût pour ces gens, ces artistes, qui passent leur temps à le perdre en dépensant l’argent du bon contribuable qui, lui, au lieu d’oeuvrer, va au labeur.
Malgré cela, je n’arrive pas à comprendre votre raisonnement. Bien des politiciens, depuis cinquante ans, mettent tout en oeuvre pour dépolitiser l’art, lui ôter sa portée symbolique. Ils tentent l’impossible pour délier ce lien qui rattache l’art à la politique. Ils réussissent presque! Or, vous, en une semaine, vous ébranlez ce travail de chloroformisation en réveillant le milieu culturel, francophone comme anglophone, d’un océan à l’autre. Même s’ils sont marginaux et négligeables sur le plan politique, il ne faut jamais sous-estimer les intellectuels, sous-estimer les artistes; sous-estimer leur capacité à vous nuire.
Un grain de sable tout puissant
Je crois, cher collègue, que vous venez de placer, vous-même, le grain de sable qui pourrait faire dérailler toute l’architecture de votre prochaine campagne électorale. La culture en effet n’est qu’un grain de sable, mais c’est justement là sa force, son front silencieux. Elle n’opère que dans le noir. C’est sa légitime puissance.
C’est plein de gens incompréhensibles, mais doués de parole. Ils ont de la voix. Ils savent écrire, peindre, danser, sculpter, chanter, et ils ne vous lâcheront pas. Démocratiquement parlant, ils veulent l’anéantissement de votre politique. Ils ne s’épuiseront pas. Comment pourront-ils?
Comprenez-les: ils n’ont pas eu de but collectif clair depuis si longtemps, depuis si longtemps pas eu de cause commune à défendre. En une semaine, en ne contrôlant pas ou mal la portée symbolique de vos gestes, vous venez de leur offrir la passion, la colère, la rage.
Dans le brouillard
La contestation qui aura lieu aujourd’hui et à laquelle ma lettre s’ajoute n’est qu’une des premières manifestations d’un mouvement que vous venez de mettre vous-même en branle: un nombre incalculable de textes, de discours, de gestes, de rassemblements, de manifestations vont désormais se faire entendre. Ils ne s’essouffleront pas.
Ceux-là seront peut-être, à l’instar de ma lettre, défaillants, mais, à l’intérieur de chaque mot, il y aura une étincelle enragée, ranimée, et c’est précisément l’addition de ces petits instants de feu qui formera le grain de sable dont vous ne pourrez pas vous débarrasser. Cela ne se calmera pas, la pression ne diminuera pas.
Monsieur le premier ministre, nous sommes voisins. Nous travaillons chacun d’un côté de la rue. Seul le Monument aux morts nous sépare et c’est juste, puisque art et politique ont toujours été le miroir l’un de l’autre, chacun sur une rive, se mirant dans l’autre, séparés par ce fleuve où la vie et la mort sont pesés à chaque instant.
Nous avons beaucoup de choses en commun, mais un artiste, contrairement à l’homme politique, n’a rien à perdre, car ce n’est pas lui qui fait les lois; et si c’est le premier ministre qui change le monde, l’artiste, lui, il le fait voir. Ne contribuez donc pas, par votre politique, à nous rendre aveugles, Monsieur le premier ministre, n’ignorez pas la rive miroir, ne nous plongez pas davantage dans le brouillard, ne nous diminuez pas.
Je suis prête à voter pour quasiment n’importe qui/quoi qui empêchera Harper et son équipe d’être reporté au pouvoir.
Sérieusement, quand on voit les politiques mises de l’avant par ce gouvernement, je ne comprends pas comment on peut consciemment voter pour les Conservateurs.
Et sérieusement, entre la face de Dion - qui a juste l’air innocent - et celle de Harper - qui a l’air niais et fourbe à la fois, je préfère l’innocent!
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